Un legs d'un genre particulier - Balade et méditation

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Cet espace se veut une invite à une randonnée à travers les voies de la vie. Je souhaite la bienvenue à celles et ceux qui me rejoindraient sur ce parcours où nous ferons des haltes pour nous ressourcer.


Un legs d'un genre particulier

Publié par Idir Ait Mohand sur 29 Avril 2015, 06:59am

Peu de temps avant sa mort, un pauvre paysan, travailleur journalier chez des gens, décida de laisser un legs d’un genre particulier à ses enfants. Il avait préparé trois boîtes, et dans chacune des boîtes, il avait pris soin de mettre une chose bizarre destinée à chacun de ses trois fils. Dans la première boîte léguée à son fils aîné, il y avait le peu d’argent qu’il avait difficilement économisé. Dans la deuxième boîte destinée au second des frères, il y avait des ossements, et dans la troisième boite, il n’y avait que de la terre offerte au cadet.

Ce curieux héritage étonna les trois frères et les mit dans l’embarras. Bien qu’ils n’aient pas de quoi se disputer pour si peu, les trois frères décidèrent quand même d’aller consulter un sage pour les éclairer. Chemin faisant, ils croisèrent quelques curiosités qui attirèrent leur attention. Sans se donner la peine d’essayer de comprendre la signification de ces curiosités pour le moins insolites, ils avancèrent tout en observant les alentours. Arrivés devant le sage et après les salutations d’usage, ce dernier les pria de prendre place et leur demanda de lui exposer l’objet de leur visite.

- Avant de vous répondre, leur dit-il, dites-moi si en cours de chemin, vous n’avez rien remarqué de particulier ?

- Si, répondirent les trois frères.

- Et qu’avez-vous vu ? Leur demanda le sage.

- Nous avons vu des vaches paissant sur une terre presque aride où quelques brindilles, par ci et par là, ne suffisaient même pas à nourrir une chèvre, mais les vaches étaient grasses et avaient une mine superbe. Plus loin, nous avons vu d’autres vaches paissant dans un pré où, malgré l’abondance de la végétation, les vaches étaient d’une maigreur incroyable. Plus loin encore, nous avons vu un bélier qui s’amusait à cogner sur une pierre qu’il roulait jusqu’à un endroit pour se coucher un moment à côté de la pierre avant de reprendre son jeu. Encore un peu plus loin, nous avons observé un oiseau qui, dès qu’il quitte la plante sur laquelle il s’était posé, les fleurs se fanent et quand il revient les fleurs s’ouvrent comme par magie. Toujours plus loin, nous avons remarqué un serpent qui quittait son trou en sortant normalement, mais en y entrant, il s’y prenait par la queue et passait donc un long moment à essayer de s’engouffrer dans son gîte sans y parvenir.

- Voyez-vous, leur dit le sage, il n’y a aucun mystère dans tout ce que vous avez vu.

- Les grasses vaches représentent les personnes avenantes qui savent gérer convenablement leur existence.

- Les vaches maigres symbolisent les personnes richissimes mais avares qui ne profitent pas de leurs biens.

- Le bélier incarne l’homme qui bat sa femme à longueur de journée et le soir venu, il partage avec elle le même lit.

- L’oiseau peut être comparé à un homme qui a plusieurs femmes dans sa vie et qu’il quitte sans prévenir pour aller à la recherche de nouveaux sourires.

- Le serpent c’est comme l’homme ayant perdu tout son argent au jeu du hasard et qui finit par miser tous ses biens y compris sa demeure.

- Quant au legs de votre père, c’est clair qu’il a voulu vous transmettre un message. Après vous avoir observés, il avait déduit que votre réussite résiderait dans les trois orientations qu’il vous a indiquées.

- Je pense, conclut le sage, que vous devez rechercher votre destin dans les fonctions que votre père vous a désignées à travers le contenu des trois boîtes.

- Toi l’aîné, va tenter ta chance dans le commerce avec ta boîte et les quelques sous qu’il y a dedans.

- Toi le second, débrouille-toi pour verser dans l’élevage et prends soin de ta boîte remplie d’os.

- Toi le cadet, ton salut se trouverait dans l’agriculture. Ta boîte remplie de terre étant très précieuse, elle te permettra de devenir une fable comme celle décrite par Jean de La Fontaine.

Et en effet, telle une prémonition, le pauvre paysan avait vu juste. Ses trois fils vont-ils réussir leur vie ? C’est ce que nous verrons dans la suite de cet épisode en suivant les traces de ces trois héritiers pas comme les autres.

 

La boîte magique de l’aîné

Du haut de son édifice, frappé d’un sigle en lettres de feu représentant les initiales de son groupe, le sexagénaire ne pouvait pas imaginer, un instant, qu’étant destiné à la vie paysanne, il serait devenu un jour le maître de ces lieux employant jusqu’à deux mille ouvriers. Ce jour-là, ce monsieur aux cheveux grisonnants, assis derrière son bureau situé à l’étage supérieur de son immeuble, ne rêvait pas. Non ! Ce n’est pas un rêveur mais un pensif qui s’était mis, spontanément, à se remémorer quelques passages de son enfance. Il se revoit à l’âge de douze ans, vendant à la criée aux alentours du marché, quelques futilités tels des cornets de cacahouètes, des bâtons de zalabia ou, quelquefois, cinq ou six bouteilles de soda noyées dans un sceau recouvert d’un sac en jute.

Ce bonhomme d’une modestie exemplaire, d’une rare bonté et au cœur large, est un exemple d’une réussite bien méritée. En disant cela et je pèse mes mots, je ne me trompe pas car j’ai eu la chance de connaître cette personne pendant des décennies durant lesquels j’ai suivi son ascension fulgurante. Issu d’une famille prolétaire, il peina pour décrocher son bac et souffrit pour se faire une place dans une école prestigieuse où il obtint avec succès son titre d’ingénieur polytechnicien. A partir de ce moment-là, il ne tarda pas à s’établir à son compte en créant un petit bureau d’études qui lui ouvrit les portes vers des horizons prospères.

Partant de petits bricolages par ci et par là, il finit dans les grandes installations en partenariat avec des entreprises étrangères. Puis, la chance l’ayant toujours accompagnée, il créa sa propre société au revenu limité avant de grossir et devenir un groupe. Aujourd’hui, il est le patron de plusieurs sociétés par actions qui donnent à manger à des milliers de familles de diverses régions du pays. En bon croyant, il s’est toujours fié à son destin qui veut qu’il soit le gérant d’une fortune à partager avec bon nombre de personnes.

En effet, tout le monde en profite à commencer par ses proches qui se servent directement ou indirectement. Les pauvres et les personnes âgées qu’il nourrit sont, peut-être, la raison de son élévation au sommet du bien. Chapeau bas pour ce monsieur qui n’a pas pris la grosse tête et qui garde toujours sa mesure d’homme complet. On ne peut qu’admirer cette catégorie de gens dont les vertus méritent tous les hommages.

 

Le second des frères et son étoile

Non ! Il n’est pas tombé sur un os, bien que sa boîte ne contînt que des os, le petit berger qu’il fut chez des gens, moyennant quelques sous et sa nourriture, tombera plus tard sur un trésor. Qui aurait imaginé, qu’un jour, l’ex-berger posséderait l’un des plus grands cheptels des hauts plateaux. Né dans une famille pauvre, il n’eut même pas droit à l’instruction car il fallait manger. Tout petit, il avait appris à bien connaître l’ovin et à vivre avec le troupeau dont il avait la charge de faire brouter.

Bien après le décès de son père, ce second des frères qui avait suivi les conseils du sage, fit des efforts pour posséder quelques brebis. Un jour, une de ses brebis mit bas d’un petit mort-né que le berger s’empressa d’enterrer au lieu de le laisser en pâture aux chacals et autres rapaces. En creusant la terre, il buta sur quelques pierres sous lesquelles se trouvait une jarre assez volumineuse. Après avoir retiré avec soin le couvercle de la jarre enterrée depuis des lustres, il fut saisi de stupeur par ce qu’il voyait ! Des pièces d’or d’un autre âge, attendaient l’heureux bénéficiaire. Pendant un moment, il ne crut pas ses yeux, se demandant si ce n’était pas un rêve qu’il était en train de vivre.

L’émotion passée, il se ressaisit et se mit à réfléchir à ce qu’il venait de découvrir et comment procéder. Dès lors, un tas d’idées lui traversèrent la tête, tout un embrouillement se mit à lui triturer les méninges. Allait-il crier sa fabuleuse découverte ? Allait-il se taire et que faire du trésor ? Finalement, il opta pour une solution qu’il pensa être la meilleure de toutes. Comme il était dans un champ à l’abri de toute intrusion, il jugea utile d’enterrer l’agneau à l’endroit des pierres laissant le trésor en l’état. Ensuite, il recouvrit le tout avec des branchages et rentra chez lui comme si de rien n’était. La nuit blanche qu’il passa à réfléchir lui porta conseil.

Le lendemain, au lieu d’aller aux pâturages comme à l’accoutumée, il décida de prendre le bus et d’aller voir un parent bijoutier en ville. Ce dernier, à qui il avait une totale confiance, lui suggéra de garder le secret et lui proposa un rachat progressif, moyennant un pourcentage. C’était énormément d’argent, une fortune colossale qui permit à notre détenteur de la seconde boite magique d’acquérir des biens immobiliers, d’acheter des fermes avec les usages qui leur siéent et de devenir ainsi l’homme honorable comme il en existe un peu partout.

Cette histoire vraie ou imaginée, peu importe, a inspiré plus d’un qui usa de sa rumeur pour montrer comment un berger, par le fait du hasard, est devenu le patron respecté et redouté par bon nombre de personnes.

 

On ne choisit pas son destin

« Travaillez, prenez de la peine » dit Jean de la Fontaine. Cette fable qui devait inspirer le plus jeune des frères ayant hérité de la boîte remplie de terre, n’eut aucun effet sur le benjamin qui ne voulait pas se salir les mains. Il se refusa de suivre l’orientation de son père ainsi que les conseils du sage et se contenta d’observer tout simplement sa boîte remplie de terre sans essayer de déchiffrer le message qu’elle contenait.

Pendant longtemps et comme chaque soir, il prend sa boîte, l’ouvre, contemple son contenu, espérant un signe de la providence, puis la referme et s’en dort. Un soir d’hiver, las d’observer sa boîte qui ne souffle pas un mot, il la vide de son contenu et la jette. Pendant son sommeil, il fait un rêve dans lequel est apparu son père très mécontent de ce qu’il venait de faire.

- Pourquoi as-tu jeté la terre que je t’ai léguée ? Lui dit-il. Je t’ai pourtant dit de prendre soin de ton héritage. Ton salut se trouvait dans la boîte et maintenant que tu t’en es séparé, que vas-tu faire, tu peux me le dire ?

- Oui ! répondit le cadet dans son rêve. Dès demain j’irai à la recherche de mon destin ! Quitte à faire un long chemin jusqu’au fin fond du désert, je ne reviendrai pas avant d’avoir rencontré ma chance.

Après ce rêve, le lendemain au petit matin, le cadet prend son balluchon et entreprend un long voyage. De campagne en campagne, sa marche à la recherche de son destin, le mène jusqu’aux portes du sud où une oasis luxuriante, s’étendant à perte de vue, se trouvait sur son chemin.

- Où vas-tu comme ça étranger ? Lui demanda le monsieur debout devant l’entrée de cette oasis au portique forgé d’or et d’argent.

- Je vais à la recherche de mon destin ! répondit le malheureux héritier de la boîte remplie de terre.

- Moi, lui dit le monsieur, je symbolise la chance de ton frère aîné. Continue ta route jusqu’au milieu du désert où tu trouveras quelqu’un qui t’indiquera le chemin à suivre.

Après quelques jours de marche, le cadet arrive enfin devant une base de vie presque aussi luxuriante que l’oasis. Les immeubles pointant vers le ciel, les espaces verts et toute une infrastructure digne d’un conte de fées, indiquent tout le faste qu’espérait notre marcheur. A l’entrée de cette base, un monsieur aux allures d’un seigneur, était là.

- Où vas-tu étranger ? Lui demanda le maître des lieux.

- Je vais à la recherche mon destin, j’ai pensé qu’il se trouverait peut-être ici ? Répondit notre passager.

- Ah ! Pas du tout. Lui rétorqua le maître des lieux. Ici, se trouve la chance de ton frère qui a hérité de la boîte contenant les os. Va encore plus loin, prends cette direction et marche jusqu’au prochain carrefour, tu trouveras quelqu’un qui te dira où se trouve ta chance.

Content de pouvoir rencontrer son destin au bout du long parcours, notre aventurier continue son chemin avec l’espoir de croiser, à l’instar de ses frères, son bonheur. Epuisé par le chemin parsemé d’obstacles, le malheureux voyageur arrive au carrefour et voit un gourbi abritant un reclus qui ne payait pas de mine et qui était à moitié endormi.

- Salut à toi, peux-tu m’indiquer le chemin à suivre pour rencontrer ma chance ? Demanda-t-il à l’ermite.

- Je suis ta chance ! Pourquoi es-tu venu jusqu’ici ? Répondit le reclus d’un air menaçant en ouvrant juste un œil.

- Je te cherchais depuis longtemps et te voilà misérable ! Réveille-toi malheureux ! Pourquoi tu n’es pas comme tes aînés qui baignent dans le bonheur. Allez ! Debout ! Sermonna le malchanceux.

Pour toute réponse, le reclus le menaça de refermer l’autre l’œil et de sombrer encore plus dans la misère s’il ne quittait pas immédiatement les lieux. L’âme en peine, le misérable héritier se retourna et entendit sa chance répéter dans un langage hilarant : pauvre bougre qui croyait changer son destin.

A méditer…